Ben Smith explique au Figaro la profonde transformation d’Air France-KLM
"Le directeur général d’Air France-KLM défend ses premières décisions, à commencer par le renouvellement de la flotte d’avions moyen-courrier, et détaille ses ambitions pour Air France-KLM et Transavia.
Nommé directeur général d’Air France-KLM à la fin de l’été 2018, après une longue crise sociale, l’ex-numéro deux d’Air Canada livre au Figaro son premier entretien.
Le FIGARO. - Vous êtes à la tête d’Air France-KLM depuis dix mois, avec l’ambition, comme vos prédécesseurs, d’en faire un leader mondial. Où en êtes-vous?
Ben SMITH. - J’ai accepté de venir, parce que je crois au potentiel des deux compagnies, mondialement reconnues. Air France et KLM ne tirent pas le maximum de leurs capacités. Quand je suis arrivé, Air France était en pleine crise. Ma priorité a été de mettre en place une équipe qui réponde de manière durable aux frustrations et aux inquiétudes des salariés. J’ai rapidement apporté des changements à la tête d’Air France, notamment avec la nomination d’Anne Rigail. Cela a montré aux équipes que l’approche serait différente. J’ai choisi de rétablir quatre piliers: la confiance, le respect, la transparence et cela dans la confidentialité. Les négociations sociales se sont déroulées dans un climat qui n’aurait pas été possible auparavant. Toutes les catégories de personnel ont signé des accords, même si certaines ont été plus difficiles que d’autres. Cela nous donne une grande stabilité pour faire évoluer notre activité. Dans un environnement plus transparent, on peut prendre de meilleures décisions, plus vite. Et quand on dirige une compagnie aérienne, il faut être agile.
Comment comptez-vous réduire l’écart de marge entre Air France et KLM?
«Nous avons pour but d’être compétitifs. Nous n’allons pas choisir des avions qui n’auraient pas de sens pour la compagnie»
La marge d’Air France en 2018 n’était que de 2 %, contre 9 % pour KLM, 10 % chez Lufthansa, 12 % chez British Airways et 18 % chez Ryanair. 2 % de marge chez Air France, ce n’est pas satisfaisant. Cinq points peuvent s’expliquer par les coûts en France. Mais deux points sont dus à la complexité et à l’inefficacité de la compagnie. À nous de nous y attaquer. Pour les cinq autres, nous devrions pouvoir faire comme à Singapour ou à Schiphol, où les gouvernements soutiennent la compétitivité de leurs compagnies aériennes. En France, il n’y a pas de raison qu’on ne puisse pas le faire.
Vous venez d’annoncer l’achat d’appareils pour renouveler les moyen-courriers d’Air France. Pourquoi le choix de l’A220?
Prendre une décision pour faire évoluer la flotte vieillissante est impossible dans une situation de crise sociale comme celle que nous avons connue il y a quelques mois. Le renouvellement de la flotte avait été reporté à plusieurs reprises. Et au bout de deux ou trois ans, aucune décision n’avait été prise. Le choix du A220-300 a été fait en trois mois. Il privilégie la nouvelle génération de monocouloirs dont le design a été conçu ces dernières années. Il est plus économe en consommation de carburant et émet donc beaucoup moins de CO2. Son impact sonore est inférieur à tous les autres appareils de cette catégorie. Il est flexible. On peut l’utiliser sur le réseau domestique, européen.
L’A220 ne sera pas fabriqué en France, mais au Canada ce qui peut surprendre venant d’une compagnie ayant à cœur de préserver les emplois en France.
Nous avons pour but d’être compétitifs. Nous n’allons pas choisir des avions qui n’auraient pas de sens pour la compagnie. C’est un avion d’Airbus, même si ce programme a démarré chez Bombardier. Son assemblage a lieu près de Montréal, la moitié des composants sont fabriqués en Europe, dont une part importante en France. Les alternatives auraient été livrées plus tard. Et le Boeing 737 est une technologie qui date de 1965. Sa dernière version, le Max a aujourd’hui des problèmes majeurs.
Quelles commandes envisagerez-vous pour accompagner la croissance de Transavia qui a misé sur le 737?
Les pilotes d’Air France membres du SNPL viennent d’approuver le dépassement du seuil de 40 appareils de la flotte de Transavia France. C’était jusqu’à présent une source de conflit. Ce sera un outil efficace pour concurrencer les low-costs. Nous n’achèterons pas de 737 Max pour l’instant. Nous pourrons acheter des 737 NG d’occasion. Il y en a des milliers dans le monde. KLM en possède déjà 50.
«L’accord conclu avec les pilotes ne doit pas réjouir nos concurrents low-costs. Ils n’auraient jamais imaginé que nous aurions ce feu vert»
Quelle est votre ambition pour développer Transavia?
Nous allons pouvoir développer Transavia depuis Orly, mais aussi par exemple Marseille, Nice, Toulouse, Lyon, Nantes, Bordeaux où les low-costs sont présentes. Nous étions jusqu’à présent limités par le nombre d’avions. Nous n’allons pas tout de suite ouvrir de nouvelles lignes. L’accord conclu avec les pilotes ne doit pas réjouir nos concurrents low-costs. Ils n’auraient jamais imaginé que nous aurions ce feu vert. Cela va nous conduire à créer des emplois en France, des navigants et des personnels au sol. C’est une bonne nouvelle pour le pays.
Le marché domestique continue à perdre beaucoup d’argent. Allez vous aller plus loin pour le restructurer?
Il y a un marché domestique en France, et Paris est la première destination touristique du marché européen. Beaucoup de clients qui ne sont pas basés à Paris attendent de nous que nous soyons leur premier choix. Et grâce à notre réseau domestique, nos partenaires comme Delta ont accès à 50 correspondances en France. La restructuration du réseau domestique est en cours. Ce n’est pas facile. Nous perdons beaucoup d’argent. Le TGV remporte un succès croissant auprès des voyageurs. C’est une situation unique. Nos concurrents, British Airways et Lufthansa, sont complètement sortis du marché domestique. Ils ont été remplacés par les low-costs. En France, c’est différent. Mais il faut encore évoluer pour maintenir notre présence. Nous ne pourrons pas continuer à perdre de l’argent comme aujourd’hui.
Le transport aérien, notamment pour les liaisons domestiques, est sous le feu des critiques des écologistes. Comment pouvez vous y répondre?
«Nous taxer, c’est nous empêcher d’investir davantage dans une flotte plus respectueuse de l’environnement»
Nous prenons notre responsabilité environnementale très au sérieux. Et nos clients y sont aussi sensibles tout comme nos employés. Nous souhaitons tous que l’impact environnemental soit réduit. Mais nous sommes attaqués de manière disproportionnée. La décision prise hier pour renouveler notre flotte représente une nette amélioration de notre impact environnemental. C’est le message que nous adressons au gouvernement. Nous taxer, c’est nous empêcher d’investir davantage dans une flotte plus respectueuse de l’environnement. Je ne suis pas sûr que cette mesure aille dans le bon sens.
L’évolution technologique va-t-elle répondre suffisamment vite à ces préoccupations?
L’industrie n’a pas cessé d’évoluer. Quand vous voyez le Concorde, qui est une merveille sur le plan technologique, son impact environnemental serait inacceptable aujourd’hui. Nous investirons demain encore plus pour réduire notre empreinte.
Pourquoi ne croyez-vous plus à l’A380?
C’était un design intéressant avec de nombreuses innovations. Les clients apprécient cet appareil silencieux. Mais nous n’avons pas un produit satisfaisant, notamment en classe affaires. Le coût de la rénovation des cabines est l’une des raisons de notre décision de ne plus les faire voler à partir de 2022. Investir 31 millions d’euros pour rénover et 55 millions d’euros pour la maintenance de chacun des sept appareils, ce n’est pas raisonnable. Avec ses quatre réacteurs, il dépense beaucoup de carburant, et conserver une aussi petite flotte n’est pas efficace. De plus, cet avion ne donne accès qu’à un nombre limité d’aéroports et de liaisons.
L’État néerlandais est entré au capital en début d’année après des inquiétudes aux Pays-Bas sur la gouvernance. Vos relations avec Pieter Elbers sont-elles apaisées?
Le fait qu’un nouveau directeur général «neutre», ni français ni néerlandais prenne la tête du groupe était nouveau. Mon souhait était que la gouvernance soit claire comme dans n’importe quel groupe. La réaction a été émotionnelle aux Pays-Bas et j’ai tenu à clarifier les choses. Il est vrai que l’arrivée de l’État néerlandais au capital a été une vraie surprise pour moi. Les deux États discutent à présent sur ce qui leur paraît être le mieux pour l’avenir. Je crois que le fait que chaque pays soit très attaché à sa compagnie est un formidable atout pour le groupe.
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