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Sous le feu de la plupart des attaques depuis le début du procès, Airbus a repris l'initiative lors de la deuxième semaine d'audience. Sans mettre en cause directement les qualités des pilotes, la défense pointe les solutions à leur disposition et l'incohérence de leurs actions.
La reprise de l'audience a été consacrée au visionnage de deux vidéos produites par Airbus.
La première vidéo, alternant schémas et images en simulateur, avait pour objectif de rappeler les principes du vol d'un avion. Suivaient ensuite des explications sur le décrochage, les domaines de vol autorisé et interdit, et enfin un rappel des règles d'or des pilotes : « fly », soit assurer le contrôle de la trajectoire, « navigate » avec le suivi d'un cap de façon sûre et efficace, et « communicate » en partageant ses objectifs et intentions dans le cockpit et à l'extérieur.
La deuxième vidéo, réalisée dans le simulateur de développement de l'A330, avait pour objectif de montrer que l'équipage disposait de plusieurs moyens pour maîtriser la trajectoire, et ce à plusieurs reprises à partir du givrage des sondes Pitot. Et pour appuyer sa démonstration, le constructeur n'a pas hésité à projeter un graphique montrant les importants écarts entre la trajectoire calculée avec l'application des procédures et celle réellement effectuée par le vol AF447.
Airbus a ainsi ciblé trois moments : tout d'abord à 2h10m05, au moment de la déconnexion du pilote automatique et la prise de contrôle manuel par le pilote en fonction (PF). La vidéo insiste ainsi sur la notion de Basic Airmanship, de qualité d'aviateur en français, soit le pilotage de l'avion avec comme priorité de garder une trajectoire stable et de limiter les écarts avec des petites actions sur le manche. Soit l'inverse de ce qu'a fait le pilote en fonction, qui a appliqué des actions à cabrer importantes et prolongées qui fait augmenter l'assiette et grimper l'appareil, mais aussi « des actions rapides et de grande amplitude en roulis, quasiment de butée à butée » tel que le décrivait le Bureau d'enquêtes et d'analyses (BEA) dans son rapport d'enquête final. La vidéo rappelle aussi que le pilote non en fonction (PNF) se devait alors de lire l'ECAM.
Le deuxième moment ciblé par Airbus se situe 12 secondes plus tard, lorsque le pilote non en fonction annonce la perte d'information de vitesses et l'apparition des premiers doutes sur la sécurité du vol. Dès lors, le constructeur affirme que l'équipage doit appliquer la procédure unreliable airspeed indication, avec l'application immédiate des actions de mémoire, connus par cœur, jugées nécessaires pour stabiliser la trajectoire et disposer du temps nécessaire pour aller chercher dans la documentation la suite de la procédure. Dès lors, la vidéo établit très simplement qu'il suffit de maintenir une assiette (en l'occurrence 3,5°) et une poussée (90 %) définies en fonction de la masse et de la configuration de l'avion. Là encore, cette attitude idéale s'éloigne largement du scénario de l'AF447 où l'avion a continué de grimper avec une importante vitesse verticale et une assiette allant jusqu'à 11°.
Le dernier moment intervient à 2h10m51, au moment où l'alarme Stall se met à retentir en continu (pour 54 secondes). L'avion n'a pas encore décroché et Airbus affirme que la récupération est possible grâce à la technique appliquée dans les écoles de pilotage, à savoir diminuer l'assiette pour réduire l'incidence, et ensuite récupérer la trajectoire. Selon le BEA, à ce moment-là, « le PF continue de donner des ordres à cabrer. L'altitude de l'avion atteint son maximum d'environ 38 000 ft, son assiette et son incidence sont de 16 degrés ».
Autant d'éléments qui, présentés en dehors des conditions de fatigue, de météorologie, de surprise, laissent à penser que l'équipage a eu un comportement quasiment incompréhensible.
C'est assurément la seconde vidéo qui a suscité une levée de boucliers de la part des parties civiles. Si l'avocate du syndicat de pilotes s'est faite forte de dénoncer « un montage », en affirmant que les données affichées n'étaient pas valides ou que, même avec l'application des procédures telles que préconisées par Airbus, l'appareil aurait également pris une altitude conséquente, certains de ses collègues se sont montrés bien plus véhéments.
Cela n'a pas empêché les avocats d'Airbus de continuer leur travail de sape.
La défense a ainsi joué sur plusieurs points, à commencer par l'incapacité des pilotes à revenir aux bases du pilotage. L'avocat a ainsi pointé le bon fonctionnement et le caractère essentiel de l'horizon artificiel, ce qui a été confirmé par les experts. Or, au vu des degrés d'assiette dans lesquels s'est trouvé l'AF447 sans que l'équipage ne semble vraiment s'en rendre compte, celui-ci a vraisemblablement été occulté par les pilotes.
De même, l'avoué a insisté sur la priorité qui aurait dû être donné à la maîtrise de la trajectoire, là encore confirmée par les experts. Bien que ces derniers aient affirmé que l'action à cabrer s'explique par la volonté du pilote en fonction de récupérer son altitude (normalement corrigé à partir des données de vitesse, l'altimètre affichait 300 pieds de moins suite au givrage des sondes Pitot), et même que la décision est bonne compte tenu de l'alarme d'écart d'altitude qui retentissait, ils ont dû reconnaître que la qualité du pilotage n'était pas bonne et que celui-ci était non homogène et mal maîtrisé.
Alain de Valence de Minardiere et Michel Beyris ont aussi confirmé qu'en dehors des sondes Pitot, tous les autres instruments étaient opérationnels et que, même si les pilotes ont eu des doutes à ce sujet, les données étaient intègres à l'exception des indications de vitesse (entre 30 secondes et une minute selon les sondes) et l'écart de 300 pieds à l'altimètre (écart de moins de 1 %).
L'avocat d'Airbus a ensuite insisté sur les difficultés de l'équipage à travailler en coordination et à se répartir efficacement les tâches. Sur ce point également, les experts ont pointé le fort niveau de stress face à l'incompréhension de la situation et ont dû admettre que la situation aurait pu évoluer autrement si le pilote non en fonction avait poursuivi sa tâche de surveillance des paramètres et la supervision du pilote aux commandes. Enfin, la défense n'a pas manqué de souligner la décision du commandant de bord d'aller se coucher à l'approche de la zone de convergence intertropicale.